Dorian & Regina

(we are the kids from yesterday)
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La forêt était silencieuse, si ce n’était de ses pieds qui macéraient sans pitié le tapis de feuilles mortes. L’atmosphère était pesante, lourde, comme s’il s’agissait du calme avant la tempête. Le vent s’était tu, écrasé par la stature des conifères qui pullulaient un peu partout autour d’elle. Puis vint le cri, l’appel : « Emrys, où es-tu ? » Une petite colonie d’oiseaux sauvages s’envola soudainement de leurs branches en un piaillement apeuré et agacé, sous le regard attentif de Regina, debout quelques mètres plus bas. Les mains enfoncées dans les poches de son manteau bleu marin, elle fronça les sourcils, une moue se formant sur ses lèvres pulpeuses. Son visage était levé vers le ciel bleu, ses yeux suivaient avec perplexité le parcours erratique des oiseaux. Emrys ? Avait-elle bien compris le prénom d’Emrys ? C’est à ce moment-là qu’elle réalisa toute l’absurdité des paroles prononcées. Oui, Emrys. Elle se souvenait de lui, bien sûr qu’elle s’en souvenait. Son dernier souvenir du jeune homme remontait à des années, cependant elle avait eu la chance de le revoir ici, à Storybrooke. Une fois que leur entrainement respectif avec le vil Rumplestiltskin avait pris fin, ils s’en étaient allés, chacun de son côté, mais à Storybrooke, ils avaient renoué leur amitié. Enfin, en quelque sorte. Elle se souvenait de lui, il ne se souvenait pas d’elle. Pendant vingt-huit ans, il en était allé ainsi. C’était le résultat de la malédiction. Un oubli complet, une existence vide et dénué de sens, les victimes avaient été condamnées à répéter leur ennui quotidien. Malgré cela, Emrys, ou plutôt Dorian comme il s’appelait maintenant, et elle s’étaient bien entendus. Comme dans le bon vieux temps. Ils étaient devenus amis. Ils avaient tous deux siégé au conseil municipal de Storybrooke chaque mois, elle en tant que maire, lui en tant que conseiller. Ils avaient discuté de temps en autres, ils s’étaient aussi croisés à de nombreuses reprises chez Granny’s le matin, lorsqu’ils venaient chercher leurs cafés. Puis la malédiction avait pris fin à cause d’Emma Swan et Regina avait perdu son bel ami de vue. Où était Dorian ? C’était comme s’il s’était évaporé dès que les habitants avaient peu à peu retrouvé leur mémoire. Comme s’il n’avait jamais existé.

Cela dit, Regina ne l’avait pas vraiment cherché. Elle avait été trop occupée pour cela. Elle était tombée sur Gold alias Rumplestiltskin sur la place du marché et en échange des exigences de leur ancien contrat et d’un futur service encore méconnu, elle avait pu retrouver pleinement ses pouvoirs magiques, qui ne lui étaient pas revenus lorsque le sort noir avait été rompu. Le prix était cher, elle en était consciente, mais c’était l’unique moyen de surveiller ses arrières et de se protéger. Cela ne plairait probablement pas à Henry, mais Regina se disait qu’elle trouverait bien un moyen de le récupérer et de lui faire comprendre que sans magie, elle n’était rien. Malheureusement, il ne semblait pas vouloir l’accepter telle qu’elle était, ce qui était compréhensible dans un sens, mais blessant dans l’autre. L’amour inconditionnel n’était plus. Puis, elle était bêtement tombée malade ; une vilaine grippe était parvenue à terrasser la Méchante Reine, voyez-vous cela. Elle était restée, pendant plusieurs jours, clouée au lit, à se morfondre et à réfléchir à ce qu’elle allait faire, aux choix qui s’offraient à elle, aussi maigres soient-ils. Et la vérité, c’était qu’elle ne savait pas vraiment ce qu’elle allait faire. Storybrooke semblait complètement paralysé, les gens savaient qui ils étaient réellement, mais ne faisaient aucun mouvement pour se sortir du pétrin. La malédiction était levée, mais ils étaient encore tous bloqués dans cette petite ville insignifiante des États-Unis. Et rien ne semblait vouloir changer.

C’est alors qu’une jeune femme la percuta de plein fouet. Regina était tellement plongée dans ses sombres pensées qu’elle n’avait même pas remarqué l’arrivée d’une seconde personne dans la forêt. Le visage enlaidi par l’agacement, la brunette fit volte-face pour confronter cette jeune effrontée, qui ne lui laissa pas le temps d’ouvrir la bouche, lui posant une question sur un certain adolescent. Regina recula lentement la tête, ahurie. Elle détaillait en silence le visage de l’autre femme, ses cheveux d’ébène, ses grands yeux mélancoliques… Il ne faisait aucun doute qu’elle venait de faire un face-à-face avec son « elle » plus jeune. Comme si elle avait voyagé dans le temps. Regina garda le silence, préférant ne pas répondre. Elle se mit à réfléchir. Il était impossible qu’elle ait voyagé dans le temps, même la magie avait ses limites. Et même si cela était possible, la magie présente à Storybrooke était beaucoup trop instable pour réaliser un tel tour de force – ou un tel tour de magie, pour faire un jeu de mots. Rumplestiltskin en personne le lui avait dit : la magie était différente, ici. Alors, c’était simple, cette réplique d’elle-même était l’œuvre d’un sorcier particulièrement facétieux et qui, plus important encore, l’avait connue lorsqu’elle était adolescente. Changer d’apparence était après tout une pratique courante chez les sorciers. C’est alors qu’une autre personne apparut dans son champ de vision. Un jeune homme brun, dont les cheveux pêle-mêle cachaient une bonne partie de son front. Il avait des yeux bleus perçants et Regina le reconnut sans peine. Emrys. Et elle comprit à partir de ce moment qui était derrière cette petite comédie. Car elle ne connaissait qu’une personne au monde qui excellait à ce jeu de caméléons.

S’ensuivit un bref échange amical entre les deux adolescents auquel fut évidemment témoin Regina. Lorsque son clone juvénile se tourna de nouveau vers elle, la brunette grimaça. Il était si étrange de se voir si… jeune, si innocente, quelque part. Enfin, innocente… Non, elle ne l’était pas vraiment, plus vraiment. À l’époque où Rumple l’avait prise sous sa tutelle et qu’elle avait fait la connaissance de Dorian, elle avait déjà perdu Daniel et était déjà mariée au Roi Leopold. Regina finit par croiser les bras, la tête relevée vers l’arrière, défiant son meilleur ami de jeunesse, appelons-le ainsi, de poursuivre sa mascarade. « Je pourrais te poser la même question… Dorian. Ou devrais-je t’appeler Emrys ? » Il y avait de l’impatience et de l’autorité dans sa voix, certes, mais aussi une certaine taquinerie qu’il n’était pas facile à déceler pour quelqu’un ne la connaissant pas bien. Regina tourna lentement la tête de la jeune Regina au jeune Emrys. Elle ne pouvait pas savoir qui était le véritable Dorian et qui était le clone dans les deux, bien évidemment, mais peu importait, en vérité. Elle poursuivit d’une voix désinvolte : « Nous ne sommes plus des gamins. Tu peux annuler ton sort, il est inutile. » En tout cas, la magie d’Emrys semblait fonctionner à merveille. Elle se demanda sans s’y attarder s’il avait dû consulter Gold pour cela ou si sa magie était revenue naturellement. « Si tu voulais passer incognito près de moi, je crains que tu n'aies sous-estimé tes capacités. » commenta-t-elle plus allègrement, laissant un demi-sourire apparaître sur ses traits quelque peu crispés. Ces temps-ci, elle était souvent crispée. Normal, quand vous étiez la personne la plus détestée de la ville…

Spoiler:

Dorian & Regina

(we are the kids from yesterday)
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C’était le Dorian adolescent qui avait pris la parole et Regina tourna brutalement la tête en sa direction en l’écoutant lui répondre. C’était moins déconcertant de discuter avec la version jeune de son ami qu’avec la version jeune d’elle-même. Elle n’aimait pas, en toute honnêteté, être ainsi confrontée au regard presque heureux, pour une fois, de son ancien « elle ». Elle n’était plus une adolescente et de ce fait n’en avait aujourd’hui plus l’allure, cependant ce qui la troublait par-dessus tout, c’était qu’elle avait l’impression que tout ceci était réel, alors que ce n’était qu’une simple illusion créée par la magie. Et même si la Regina adulte réalisait toute l’absurdité de son impression, elle avait en même temps tellement envie d’y croire. Si elle pouvait réellement remonter dans le temps et se rencontrer elle-même, elle essaierait de changer le « destin », même si ce mot lui donnait envie de vomir. Avant qu’elle ne succède au Roi Leopold, elle avait toujours eu l’impression d’être manipulée, comme un vulgaire pantin, par Rumplestiltskin et par sa mère, même si elle avait encore du mal à l’accepter. Sa mère était la cause de la mort de Daniel – même si Snow White y avait joué un rôle important – et c’était à partir de là que Regina avait cessé d’être véritablement heureuse. Puis, Rumplestiltskin était apparu dans sa vie, lui avait offert la magie sur un plateau d’argent, comme une drogue qui lui réglerait tous ses problèmes. Et parce qu’à l’époque elle était faible, parce qu’elle n’avait absolument plus rien à perdre, elle avait accepté et voilà où elle en était : dans une forêt du Maine, dans un monde complètement différent de celui de Fairy Tale Land. Oui, si elle pouvait refaire sa vie, elle essaierait de changer certaines choses, si elle le pouvait. Elle ferait tout ce qui était en son pouvoir pour résister à l’appel ô combien tentant de la magie. La magie corrompait les gens, elle n’était pas une véritable source d’aide ; Regina était bien placée pour en témoigner.

Qu’est-ce qu’elle faisait là, dans cette forêt ? Eh bien, elle avait été malade quelques jours plus tôt – une vilaine grippe, rien de plus – et sur les ordres du médecin, afin de complètement se rétablir, elle devait faire de longues promenades pour s’aérer les poumons. Alors chaque jour, elle s’aventurait dans les bois et contrairement à ce qu’elle pensait, cet endroit était assez fréquenté. Hier encore, par exemple, elle était tombée sur Emma Swan, la « Sauveuse » et fille de ses pires ennemis. Si leur conversation avait bien commencé, elle avait plutôt mal fini, entre le ton acide d’Emma et le sarcasme de Regina. Finalement, chacune était partie de son côté et rien n’avait évolué entre les deux femmes. Comme d’habitude, avait pensé la brunette avec lassitude. Ce n’était pas la première fois qu’elle confrontait la blonde, mais après des mois, ça commençait à être fatiguant, surtout que tout cela n’avait encore donné de résultats probants. Henry était comme qui dirait toujours suspendu entre elles, dans l’attente d’un verdict de la part de l’une ou de l’autre. Malheureusement, Emma semblait bien décidée à restée à Storybrooke, et encore plus maintenant qu’elle avait brisé la malédiction et qu’elle avait retrouvé ses chers parents. Regina n’y pouvait pas grand-chose. Alors, pour répondre à Dorian, elle se baladait sur les ordres de son médecin. Mais, Regina étant Regina, elle répéta les paroles de son ami : « J’ai aussi envie de prendre l’air. » Elle lui demanda ensuite d’annuler son sort, puisqu’en effet, c’était inutile. Elle avait compris qui il était et n’était guère d’humeur à revoir une tranche de son passé devant ses yeux. Déjà que ses souvenirs la rongeaient, elle n’avait pas envie de les revivre « en live ». Regina voyait bien que son ami ne voyait pas le mal dans son petit jeu et en effet, il n’y avait aucun mal ; seulement, il n’était pas tombé sur la bonne personne pour ça. Elle le vit balayer l’air de la main et aussitôt, les deux adolescents surgis du passé cédèrent leur place à un Dorian adulte. Regina l’observa avec curiosité : il n’avait pas changé depuis la dernière fois qu’elle l’avait vu. Il ressemblait au Dorian de tous les jours.

Bien sûr, Regina se doutait que s’il avait vraiment voulu passer incognito, il aurait fait autrement. Dorian excellait dans l’art du déguisement, sa magie semblait faite pour cet art. Cela signifiait qu’il ne la fuyait pas, que malgré toutes les horreurs qu’elle avait commises, il conservait un bon souvenir d’elle. D’un autre côté, la magie qu’ils avaient tous deux apprises aux côtés de Rumplestiltskin était de la magie noire, la pire de toutes. Forcément, Dorian n’était pas totalement innocent, lui non plus. Mais cela, Regina ne pouvait pas en être sûre, elle avait complètement perdu contact avec son ami à la fin de son entrainement magique. Elle ne l’avait revu qu’à Storybrooke, sous une apparence plus moderne. Il avait vieilli, lui aussi. Ils n’étaient plus des enfants, en effet. Dorian reprit la parole, mais mentionna le prénom de Henry et cela suffit à rendre suspicieuse la brunette. Dorian aurait donc été prêt à prendre l’apparence de son fils pour ne pas éveiller les soupçons sur sa véritable identité ? Eh bien, pensa-t-elle avec amusement, le brun n’avait aucun scrupule si besoin était. C’était une bonne chose, Regina était comme ça, elle aussi. « Hum, ma foi, je suis soulagée que tu n’aies pas été jusqu’à essayer de me manipuler de cette façon, cher ami. » répliqua-t-elle mi ironique, mi sincère. Il était clair que prendre l’apparence de Henry en sa présence ne pourrait que servir de viles intentions. Tout le monde savait après tout à quel point le Maire tenait au garçon et aussi à quel point il pouvait être facile de jouer sur ce point sensible. C’était sa faiblesse, Regina en était bien consciente.

Elle sursauta en sentant la main de l’homme se poser sur son épaule et le regarda avec de grands yeux étonnés. Ils n’avaient jamais été aussi… comment dire, mièvres ? Ils n’étaient même pas un couple, en plus et puis l’idée n’avait jamais traversé l’esprit de la brunette. Pour elle, son seul « true love » était Daniel et comme il n’était plus, cela ne servait à rien de se forcer ou de chercher ailleurs. Ou même de croire aux fabulations de la Fée Clochette sur le fameux homme au tatoo de lion qui serait selon elle sa « deuxième chance ». Elle n’y avait pas cru et avait refusé d’aller voir l’homme en question, alors maintenant, il était trop tard. Était-il cependant trop tard pour faire confiance à son vieil ami ? La seule personne au monde, son père mis à part peut-être, qui n’avait jamais tenté de la manipuler ? Franchement, elle n’en savait rien. Elle croisa les bras et se recula, observant du coin de l’œil la main de son ami basculer dans le vide. Elle eut un sourire triste, presque désolé. « La Regina que tu connais a changé depuis le temps. Il y a quelques minutes, tu as fait apparaître les versions plus jeunes de nous deux ; dois-je en conclure que tu t’ennuies du bon vieux temps ? » Elle avait lancé la question sans arrière-pensée, le regardant toujours dans les yeux. Elle se remit à marcher, sachant qu’il y avait de fortes chances pour qu’il la suive de toute façon. Lorsqu’elle parla à nouveau, sa voix était devenue plus sombre : « Je peux compter sur toi, as-tu dit ? Et où es-tu allé lorsque nos entrainements respectifs ont pris fin ? J’ai effectué quelques recherches au sein du royaume et je n’ai pas une seule fois entendu parler de toi. C’est comme si tu t’étais évaporé dans la nature. Tu devais avoir beaucoup de choses à faire ou à régler, je me trompe ? » Voilà, elle venait de toucher le sujet qui fâchait : mais où était allé Emrys après son entraînement ? Il avait probablement utilisé toutes ses connaissances magiques pour aller et venir à sa guise, raison pour laquelle Regina n’avait pu réussir à le retrouver, mais la question demeurait : qu’avait-il fait durant toutes ces années ?