« Née d'un sourire, d'un rayon de soleil, d'un éclat de rire. »

Naître princesse, du roi mon père et de la reine ma mère, c'était naître aimée. Voulue, désirée, adorée. Enfant dorée aux cheveux du miel le plus étincelant, couronnée par la gloire des marches du trône. J'ai eu la chance de venir au monde privilégiée parmi les privilégiés – j'aurais bien pu devenir gâtée, orgueilleuse et prétentieuse, insensible à ceux que je serais portée à gouverner, mais après la mort de ma mère lorsque j'étais encore trop jeune pour me souvenir d'elle, mon père eut à cœur de me transmettre les valeurs qu'il aimait en elle. J'ai grandi choyée, oui, entourée de mille soins, d'attention et de prévenance, mais j'ai aussi grandi bien éduquée, et j'ai toujours considéré mon peuple comme mon attribut le plus précieux, celui dont je devais prendre le plus grand soin. Et le peuple m'aima, oui – le peuple m'adora tout autant que le faisait son Roi, et je lui rendais cet amour – je le leur rendais à tous, au centuple.

« Baptisée de larmes de joie, épargnée par la peine, fauchée par la haine. »

Pourquoi, alors, pourquoi moi ? J'avais dix-sept ans, je respirais la joie de vivre, cette insatiable fringale de l'existence propre aux jeunes et aux bienheureux, mes jours me comblaient de bonheur, l'un après l'autre – pourquoi a-t-il fallu que je traverse cette nuit funeste qui me vit frappée de la plus noire des malédictions ? Pourquoi moi ? Qui pouvait me haïr suffisamment au point de m'infliger cette destinée bien plus sombre que ce que mes plus ténébreux cauchemars avaient pu me faire redouter ? Personne n'en savait rien, et mon père envoya des émissaires aux quatre coins de l'univers pour savoir comment lever ce bien triste sort qui pesait sur mes jours, sombre spectre des âmes que je devais faucher pour ne pas être enfermée dans le néant et troquer ma couronne nimbée de chaleur contre un linceul tissé d'oubli.

« Forgée par la nuit, mariage accordé, amour consenti. »

Petit à petit, la nuit est devenue mon élément, une facette de ma nature que je laissais voir à bien peu. Un jour, celui qui deviendrait mon époux se présenta – il passa les trois nuits requises pour obtenir ma main dans la demeure de Rumplestilskin, sans toutefois y trouver le remède à mon sort. Mon père ne lui en révéla rien et lui accorda les noces royales que sa bravoure avaient mérité – je l'épousai, et de jour en jour mon amour pour lui grandit. Je lui appris la peur, il m'apprit le bonheur – un vrai bonheur, profond, authentique, sincère, et jamais je n'osai lui avouer que j'étais une Faucheuse, de peur de voir frémir et s'éteindre l'étincelle flamboyante qui brûlait dans son regard lorsqu'il le posait sur moi. Nous nous aimions – ô, cruelle, indigne, si vaine malédiction...

« Les années d'enfance – insouciance. »

L'Écosse est un magnifique endroit où voir le jour. Fairlie est un endroit spécial, hors du temps presque – on y vit encore comme il y a cent ans, les uns autour des autres, centrés sur notre petite existence casanière, dans les traditions et les légendes qui parsèment la lande les soirs d'hiver.  J'y ai grandi heureuse, j'y avais des amis. Lennon était sûrement le plus proche d'entre eux, avec son cynisme acide qui me faisait sourire. Je n'avais pas besoin de grand-chose : sa compagnie me suffisait. Et puis, l'autre est venu, et l'autre a tout emporté... C'est l'année de mes douze ans que tout a basculé : j'étais jeune, l'esprit pétri de féerie et d'histoires, et Lui me semblait si séduisant du haut de ses quatorze ans... Passion d'enfance, de cet amour si étrange que seuls les enfants peuvent réellement comprendre, vraiment éprouver – je l'ai aimé de toute mon âme, de toutes mes forces, avec la dernière des énergies et l'abnégation la plus intense, et l'année de mes seize ans, avec l'accord de mes parents, je l'ai épousé. Toute une vie nouvelle qui s'offrait à moi – je l'ai épousé, je l'ai suivi en abandonnant derrière moi Lennon et nos amis, et à Storybrooke nous avons emménagé.

« Maternité intense – tempérance . »

J'ai toujours voulu être mère – mais lui, hélas, l'homme de ma vie, l'amour auquel je m'étais vouée, ne pouvait pas avoir d'enfant. Que faire, alors ? Nous étions jeunes, bien trop jeunes pour songer à adopter trop tôt. Nous avons entamé les démarches, et c'est une fois mes études de médecine correctement avancées que nous avons pu aller chercher Mary-Jane à New-York. Elle avait trois ans, et elle était si belle, cet ange blond aux grands yeux profonds... Mes études ont continué. Je suis devenue médecin, puis légiste – inexplicablement, je me sentais à mon aise au milieu des morts... Et nous avons adopté Zara. La prunelle de mes yeux, ma toute-petite, un souffle d'alizé dans nos existences. Si seulement la maladie n'avait pas frappé... Nous n'avons rien dit aux filles. Zara trop jeune pour comprendre, Mary-Jane en plein dans ses examens... L'opération qui devait le sauver l'a tué, et je me suis retrouvée veuve à trente-trois ans, avec deux enfants que j'aimais de tout mon être, mais auxquelles leur père manquait tellement – tellement...  

« Retour de la conscience – les mois d'errance... »

Ô Souvenirs. Me découvrir mariée à un autre – un autre que j'aime tellement, que mon essence de faucheuse en soit maudite – un autre de onze années mon cadet. Et lui, lui qui ne sait pas, que je suis là, à portée de sa main, et que je n'ose tout simplement pas aller le retrouver, car je sais bien que notre vie passée est définitivement envolée. Il en aime un autre maintenant, et je suis toujours une convoyeuse des morts, un être damné... Comment pourrait-il m'aimer encore ? Et si encore j'avais le soutien de Lennon – mais voilà, être le Monstre du Loch Ness, c'est trop pour lui, et il fuit tout : souvenirs, identité, il me fuit moi. Mon ami d'enfance, le parrain de mon aînée – et je n'ai même pas son épaule sur laquelle pleurer... Que peut bien m'importer qu'il ait avant été affligé d'écailles ? Je l'avais apprécié tout autant à notre première rencontre, en d'autres lieux, en d'autres temps... Alors, oui, ma fille adoptive est en fait Lady Marianne, mon amie de jadis – mon mari est un coureur qui m'a oubliée, et mon meilleur ami met un point d'honneur à ne ps me remarquer – je suis toujours une Faucheuse.

Ma vie n'a aucun sens – pourquoi, pourquoi tant de souffrance... ?