Assis dans l'arrière de ma boutique, je buvais une tasse de thé tout en triant quelques objets que je gardais dans des cartons. Il y avait là un bric-à-brac infernal. Étonnant que je me rappelle encore de la valeur de chaque objet, je me surprenais moi-même. Je me souvenais même de chaque contrat que j'avais passé.. Enfin... « Souvenir » était un bien grand mot. Au fil du temps, j'avais fini par tenir un jour un livre recelant tous mes contrats afin que je n'en oublie aucun. Inutile de préciser que ce livre était rangé à double-tour dans une grosse boîte en bois et qu'il était plutôt volumineux... Je n'avais nulle envie que quelques fouineurs viennent mettre le nez dans cet ouvrage et y découvrent toutes les teneurs de mes petits marchés. D'ailleurs, certains – ils étaient rares – n'avaient pas aboutis. Enfin passons... Mes petites investigations continuaient, à mon aise. Cela me permettait de m'enrichir un peu plus et d'y gagner du pouvoir. Alors que je sortais quelques vieilles photographies prises lors de l'un de mes voyages dans le Territoire Gris, je tombais sur un livre écrit par un certain Lewis Caroll : Alice in Wonderland. Beaucoup de gens connaissaient les aventures plutôt folles et palpitantes de la petite Alice. Mais ici, nous avions les vraies personnes en chair et en os et leurs histoires étaient plutôt différentes. Notamment celle de ce bon vieux Jefferson que je fréquentais depuis de très nombreuses années pour des contrats divers et variés.

J'ouvris le livre, hasardeux, et tombais sur une page illustrée où Alice buvait une petite fiole où était inscrit « Drink me ». Ce conte la montrait naïve... Ce n'était pas vraiment différent dans la vie de tous les jours. Notre chère Alice se faisait ici appeler Lizzie et était enfermée à l'hôpital psychiatrique. C'était toujours le cas, même si le sort était brisé. Je n'avais malheureusement pas été le premier à l'entendre parler de Wonderland mais lorsque j'avais appris, je pensais qu'elle se souvenait et étais allé la voir. Mais, bien au contraire, elle ne se souvenait pas vraiment... Certain qu'elle me serait utile à quelque chose, tôt ou tard, je lui rendais de fréquentes visites afin d'entretenir un brin de contact, de me faire voir comme un vieil homme boiteux plutôt sympathique. Elle serait alors plus encline à me rendre quelques services. Je n'étais pas allé la voir depuis que le Sort avait été brisé : j'avais eu beaucoup trop à faire. Mais maintenant que tout se calmait petit à petit, pourquoi ne pas reprendre les bonnes vieilles habitudes ?

Je pris le temps de finir ma tasse de thé et de refermer le livre avant de quitter ma boutique. Je pris grand soin de retourner la pancarte qui indiquait « Close » et fermais à clé avant de me diriger vers ma voiture. L'hôpital se situait sur la route que je prenais pour me rendre à mon manoir. C'était donc plutôt pratique. Je me garais sur une place du parking et entrais dans l'atmosphère étouffante de l'hôpital. Le hall d'accueil était plutôt tranquille, quelques patients s'y trouvaient pour se dégourdir un peu les jambes, accompagnés – ou non – d'un membre de leur entourage, des médecins buvaient leur café, ... Je me dirigeais vers la porte qui menait à l'étage inférieur, là où se trouvait l'aile psychiatrique. Je trouvais cela étonnant qu'on l'ait gardé enfermé, sachant que le Sort était brisé et qu'elle n'était pas folle... Mais après tout, les souvenirs affluaient lentement et les médecins étaient souvent des personnes bornées. Je m'avançais jusqu'à l'accueil où une femme lisait un magazine. Me voyant devant elle, elle se redressa vivement sur sa chaise en se raclant la gorge, m'adressant un petit sourire tendu.

« Mr. Gold ! Quelle... Bonne surprise ! Que désirez-vous... ? » un petit sourire étira mes traits. Tout le monde me craignait, aussi bien à cause de ma réputation de Ténébreux qu'à cause de la réputation que je m'étais forgé ici, à Storybrooke, comme l'impitoyable propriétaire de la ville qui n'acceptait aucun retard de loyer. « Je souhaite rendre visite à Mademoiselle Liddle. » elle parut hésiter un moment avant de se lever et d'appeler un médecin de service afin qu'il m'amène à la cellule de la demoiselle. Je patientais tranquillement, appuyé sur ma canne, le regard fixé sur l'infirmière. Un homme en blouse blanche apparut alors, très professionnel, et me guida dans les couloirs que je connaissais. Je savais qu'ils n'aimaient pas que l'on rendre visite à leurs patients. Ca pouvait le déstabiliser, disaient-ils. Mais on ne refusait jamais rien à Mr. Gold. Il déverrouilla la porte et la poussa dans un petit grincement. « Vous avez de la visite, Lizzie. » J'entrais sans attendre l'invitation du médecin et lui fis signe de nous laisser. Le médecin poussa un soupir et s'en alla, laissant la porte ouverte et donc libre choix de nous promener dans les couloirs de l'hôpital si l'envie nous en prenait. J'avais fait cette demande longtemps auparavant, en échange d'une petite baisse sur leurs loyers. C'était toujours d'actualité. « Bonjour, Lizzie. Comment vas-tu ? Cela fait un petit moment que nous ne nous sommes pas vus... » demandais-je en restant dans l'entrée de la pièce, attendant poliment une réponse. Aujourd'hui, je sentais qu'elle allait enfin prouver sa valeur en me rendant quelques services. J'en étais sûr.

Un doux sourire se dessina sur mes lèvres. Bien sûr qu'elle pourrait aller mieux, cela allait de soi. Qui aimerait être enfermé dans un asile et être vue comme une détraquée ? C'était exactement ce que Regina avait fait subir à Belle durant de nombreuses années... Et dire que pendant tout le temps de la malédiction, elle se trouvait dans les couloirs de cet hôpital, non-loin de moi, et que je ne l'avais jamais su. La reine payerait très cher son petit manège. Je voulais la tuer, bien sûr, mais j'avais promis à Belle de ne pas le faire. J'allais devoir trouver un moyen plus subtile. Si JE ne pouvais pas le faire, quelqu'un le ferait à ma place. Après tout, il était rare que je me salisse les mains directement... Passons. Là n'était pas la question pour le moment. Je jetais un vague coup d'œil aux feuilles qu'elle venait de poser avant de se lever de son lit mais restais sur place, reportant mon attention sur la jeune femme. Il ne serait nullement difficile, pour moi, de la faire sortir d'ici : on ne refusait rien à Mr. Gold et encore moins à Rumplestiltskin, le ténébreux. Enfin... Nous verrons cela plus tard. Pour l'heure, il fallait déjà que je songe à quoi elle pourrait m'être utile aujourd'hui. Et pour ça, je devais lui parler un peu. Ca faisait un moment que nous ne nous étions pas vus et je devais m'informer où en était son état. Ne voyant nulle part où m'asseoir, je restais debout, appuyé sur ma canne, sympathique sourire aux lèvres. Elle ignorait beaucoup de choses, n'est-ce pas ? Elle ne se doutait pas que la magie était revenue à Storybrooke... Savait-elle qu'elle n'était pas folle, également, et que Wonderland existait bel et bien, qu'on l'enfermait pour rien ?

« En effet, ce gros nuage violet... Cette fumée a ramené la magie sur la ville... Tu ne dois pas être au courant de beaucoup de choses ici, n'est-ce pas ? » je lui servis un autre de mes sympathiques sourires. En fait, je ne savais même pas si elle avait vent de ma réputation, si elle se souvenait de sa vie d'autrefois... J'ignorais beaucoup de choses à son sujet ! J'allais devoir y remédier immédiatement et me mettre au courant de ses connaissances, ainsi que des gens avec qui elle pouvait bien avoir contacts. Je devais savoir si elle pouvait m'être d'une quelconque utilité. « Je serais curieux de savoir si tu te souviens de quelque chose concernant le monde des contes ? Après tout, nous venons tous de là-bas. » aurait-elle des envies de vengeance sachant qu'on l'avait enfermé ici sans raison et qu'elle y était toujours ?

Je m'avançais vers elle de quelques pas tout en réfléchissant. J'étais venu ici sans but particulier. Simplement me tenir au courant de l'avancée de la malédiction. Et si Lizzie pouvait m'être utile un jour, je devais immédiatement le savoir. J'allais devoir commencer par quelque chose de facile afin d'évaluer ses capacités. Peut-être pourrait-elle espionner quelques personnes à mon compte ? Comme cette horripilante Kindra qui voulait me dérober un cristal sans en payer le prix. Je m'avançais encore un peu. « Avec toutes ces nouvelles choses qui se sont passées, crois-tu que ces médecins ont de bonnes raisons de te garder ici ? » nonchalamment, je jetais quelques coups d'œil critique à cette petite pièce. Comment appelaient-ils ça ? Chambre ou cellule ? Je haussais légèrement les sourcils avant de reporter mon attention sur Lizzie. Si elle acceptait de faire quelques missions pour moi, je pourrais me porter garant d'elle, la faire sortir d'ici, lui trouver un logement et un travail. Une sorte de bienfaiteur, somme toute. Et je savais qu'elle pourrait éventuellement bien me le rendre...

Alice n'était vraiment pas précise dans ses réponses. Sans doute fatiguée de parler toute la journée à des psychiatres... Je poussais un soupir inaudible, légèrement agacé. Elle ne m'aidait pas beaucoup à poursuivre la conversation, et je ne savais toujours pas quel service elle pourrait bien me rendre. J'avais déjà dans l'idée de la faire sortir, chaque chose en son temps. Ensuite je réfléchirais un peu. J'étais certain qu'elle pourrait accomplir pour moi une petite mission facile comme espionner une personne en particulier. On ne la connaissait pas beaucoup, dans la ville, il serait sans doute plus facile pour elle de passer inaperçue, n'est-ce pas ? Un léger sourire naquit sur mon visage. Tiens, c'était vrai ça, qui connaissait-elle dans la ville ? D'anciens patients (je pensais à Belle) ? Madame le Maire ? Sans doute. C'étaient deux figures très probables. Mais elle devait certainement avoir d'autres connaissances, des visites... Qui y avait-il dans Alice au pays des merveilles ? Un lapin blanc, un chat, un lièvre... Un chapelier. Jefferson serait-il une connaissance de la jeune femme ? Je n'en savais rien, et cela ne m'intéressait pas particulièrement, je n'étais pas la commère de la ville non plus. Je ne saisissait que les informations qui pourraient m'être utiles pour mes petites affaires personnelles. Point. « Sans doute... » soufflais-je en guise de seule réponse à ses paroles. Le silence s'installa durant quelques minutes. Il n'était pas très gênant, à mon sens, plutôt naturel et apaisant. Cela me permit de réfléchir rapidement. Et pour la première fois depuis longtemps, je décidais de prendre une décisions sur le tas, lorsque nous serrons sortis de l'hôpital. Je reportais mon attention sur la jeune femme et lui souris doucement.

« Que dirais-tu de te dégourdir un peu les jambes ? Ca ne doit pas être amusant de rester enfermer ici toute la journée et de voir toujours les mêmes murs et la même cellule. » je lui fis un nouveau sourire empreint de sympathie. Si elle s'avérait vraiment utile je pourrais l'aider à se réinsérer dans la société, lui trouver un métier, un logement... J'avais assez d'influence pour la faire sortir de l'hôpital. Ce n'était pas dur de tenir la bride autour du cou des gens, surtout lorsqu'on s'appelait Rumplestiltskin. Et en échange de ceci, elle devrait me rendre quelques petits services. Mais avant cela, je devais m'assurer qu'elle pourrait vraiment m'être utile. Oh... Je n'allais pas le lui dire directement, bien entendu, cela n'aurait pas été très fin ! J'amènerais doucement le sujet sur le tapis, l'air de rien. J'étais sûr qu'elle ne serait pas contre. Quelque chose de facile, rien de bien compliqué. Ensuite, j'aviserais... Un nouveau sourire fleurit sur mes lèvres et je plongeais mes yeux dans ceux de Lizzie. Si jamais elle s'avérait utile et si jamais elle en venait à souhaiter sortir de l'hôpital où on a gardait enfermé, elle entendrait rapidement de bien piètres rumeurs à mon sujet, car dans la ville, on parlait beaucoup de bouche à oreille... Comme dans toutes les villes du monde, d'ailleurs. Enfin passons... J'allais devoir me faire son Bienfaiteur afin que les rumeurs soient atténuées à ses oreilles. Pas de problème, un jeu d'enfant, j'avais déjà accompli des tâches bien plus complexes.

« Une petite sortie en ma compagnie te tenterait-il ? » lui demandais-je poliment avant de me diriger vers la porte d'un pas tranquille, m'appuyant sur ma canne. J'étais presque sûr qu'elle accepterait. Il faudrait être bien triste pour vouloir rester enfermer dans une chambre dans un hôpital psychiatrique...