Neverland... Je ne me souviens presque plus de ma vie, avant. J'avais une famille, je crois. Ou peut-être pas. J'étais si jeune, j'avais dix-huit ans, et je passais le plus clair de mon temps à rêver de mieux. Mes rêves prenaient toute la place, et avec ma soeur, nous parlions d'imaginaire, de créatures, d'aventures... Ma vie réelle, à cette époque, avait une importance infime et je l'ai oubliée. Elle n'était pas importante, à quoi bon s'en rappeler ? Et je ne crois pas qu'Aaliyah s'en rappelle non plus, comme si nos vies avant avaient été effacées de nos esprits. Cela ne me dérange pas.
Lorsque nous sommes arrivées, nous étions un peu effrayées. Un monde immense, dont nous ne connaissions rien ! Aaliyah me traînait partout, et nous nous cachions des autres. Aaliyah était méfiante, et j'étais d'accord avec ce qu'elle disait, quoiqu'elle dise. Je dois admettre, je vouais peut-être une admiration sans bornes à ma soeur, à ce moment là. Les choses ont un peu changé, sans que je ne cesse de l'admirer. Disons que je me suis affirmée. Mais là n'est pas la question.
Et puis la découverte des enfants perdus nous a chamboulées. En bien, je vous rassure. C'était incroyable, une liberté totale, Peter était incroyable, il nous comprenait. Tous nous comprenaient, nous étions les mêmes ! J'allais où je voulais, grimpais aux arbres, dessinait parfois pour illustrer les histoires que nous nous racontions pour nous effrayer. Les enfants perdus n'étaient pas des amis, non, ils étaient une famille. Peter était un peu notre grand frère, sans être trop grand. Il nous dirigeait, mais ne nous interdisait rien. La façon dont nous nous battions contre Crochet était follement amusante, nous avions enfin les aventures dont nous rêvions, avec Aaliyah. J'avais l'impression d'être dans un rêve, et j'étais terrorisée à l'idée de me réveiller.
A l'époque, Peter avait dû s'en rendre compte et m'avait rassurée de quelques mots, chose qu'il était le seul à pouvoir faire. Même Aaliyah n'aurait pas pu comprendre cette peur, à moins de la ressentir. J'avais besoin de l'assurance que ce que je vivais n'était pas juste le fruit de mon imagination, que cette vie parfaite était réellement la mienne. Et je ne voulais pas qu'elle finisse, jamais.
Au fil des années, j'ai comprit que ce n'était pas tant l'univers de rêve que l'île semblait donner au départ. Les lieux avaient leurs côtés sombres, également, Peter n'était pas si charmant qu'il en avait l'air, tout comme les autres enfants perdus. Y compris moi, à vrai dire. J'avais quelque part un peu conscience que nos actes étaient parfois poussés, certains auraient dit malfaisants, mais c'était ce que j'avais toujours connu, alors cela me semblait normal. Et puis c'était une question de survie, de batailles : je n'avais pas le choix, et honnêtement, même si je l'avais, j'agirais exactement de la même façon. Je n'avais pas peur, au contraire, je prenais un certain plaisir dans ces actes. C'était mon monde, tout ce que j'avais connu. C'était chez moi, que ce soit bien ou mal.
Mais la Malédiction a tout prit, et aujourd'hui, je suis terrifiée. Mais pas à l'idée de ne vivre qu'un rêve, à l'idée de ne plus jamais retrouvé ma maison, les lieux qui m'appartenaient, ma famille... J'ai peur de ne plus revivre tout ce que mes souvenirs rappelaient douloureusement. Et ça, je n'hésite pas à le confier à Aaliyah.

Je me suis retrouvée à Storybrooke par un certain hasard, en réalité. Je fuyais... Ma soeur et moi fuyions. Imaginez être une enfant de quelques années, qui après avoir passé le plus clair de sa vie au coeur d'un foyer pas extraordinaire, à utiliser des jeux déjà usés par une multitude de mains, se retrouve plongée dans un décor doré, un piège forgé de sourires, d'argent et d'apparences. Après avoir été l'enfant sauvage qui se faisait hurler dessus par la surveillante pour être grimpée sur l'armoire pour gagner des bonbons suite à un pari, je me suis retrouvée comme devant être bien élevée, souriante, droite. "Faire bonne impression", disaient nos parents adoptifs. J'appelais ça être punie, bien que je n'aie pas connaissance des bêtises pour lesquelles je prenais. J'ai détesté cette vie dès l'instant où j'y suis entrée, l'impression d'être une petite princesse, notre mère adoptive qui tentait désespérément de nous rendre plus courtoises et civilisées, les fourchettes qu'il fallait ou ne fallait pas utiliser au cours du repas. C'était un cauchemar, et Aaliyah était d'accord avec moi. Nous avons tenu quelques années, le temps d'être suffisamment âgées pour que personne ne pose de questions, et puis nous avons fui, tout droit, sans vraiment savoir où aller. Aaliyah s'emballait, parlait de découvrir le monde, et j'étais d'accord avec elle. J'aimais tous les lieux où elle souhaitait aller (tant que je pouvais y faire ce que je souhaitais sans quitter ma soeur, tout m'allait sans problèmes). Au départ, nous étions dans la galère, c'était peu de le dire... Nous avons traversé les USA, enchaînant ville sur ville, boulot sur boulot... Nous changions d'endroit aussitôt que nous étions renvoyées de notre travail, et cela ne mettait jamais longtemps. Nous n'étions pas assez responsables, pas assez ponctuelles, pas assez sérieuses... De véritables enfants, disaient-ils. Et ils avaient raison. Et le temps nous a rattrapés, le jour où nous avons vu s'afficher sur un mur une affiche à notre effigie. Notre petite fugue avait assez duré, nos parents adoptifs étaient à notre recherche (quelle honte, des enfants échappés de leur parfaite famille... comment allaient-ils expliquer ça à leurs amis ? Une véritable humiliation.)
Et puis nous sommes tombées sur Storybrooke, ce petit village discret, où personne ne semblait jamais venir... Nous nous y sommes installées, avons loué ce petit studio et tenté de gagner nos vies tant bien que mal. Et par la suite, nos souvenirs sont remontés à la surface. Et depuis ce moment, je ne souhaite qu'une chose : Retrouver Neverland.