Les cris et les hourras retentissent au loin. Je les entends vaguement faire la fête tandis que je suis seule dans le cimetière.  Je ne suis pas seule très longtemps car je finis par le voir. Je me cache derrière une tombe tandis que lui ne me voit pas. C’est toujours ainsi j’ai l’impression. Je le vois, je ne vois que lui, mais lui ne me voit jamais.

Mais je manque à tous mes devoirs. Je me présente, je m’appelle Sally. Juste Sally. Je vis dans un monde qui pourrait vous paraitre étrange. Un monde qui vous ferait trembler de peur. Un endroit où vos pires cauchemars sont réels. Où le monstre tapit sous votre lit vous dévorera les pieds si vous vous approchez trop près. Où vous pourrez croiser au détour d’une rue un vampire prêt à vous vider de votre sang. C’est mon monde. C’est Halloween Town.

J’ai été créée par le Dr Finkelstein, une espèce de savant fou en fauteuil roulant qui ne m’a créée que pour le servir. Ma vie n’est pas la plus drôle du monde. Je rêve de pouvoir partir, m’enfuir, aller vivre ma vie et découvrir le monde.  Mais je dois rester là. Je n’ai nulle part où aller de toute façon. Mais rassurez-vous je ne me laisse pas faire. J’ai… disons… tendance à épicer un peu sa soupe. Ca relève le goût. Mais bon ça a aussi la fâcheuse tendance à l’endormir. Vu qu’il n’a pas besoin de moi tandis qu’il dort j’en profite  pour m’échapper et par aller le voir.

Qui ? Jack Skelington. L’épouvantail. Le roi d’Halloween. Et l’homme que j’aime désespérément mais qui ne semble pas me voir… Alors j’essaie d’être toujours là pour lui. Je pense être une des seules personnes à Halloween Town à le comprendre. A comprendre à quel point il peut se sentir triste, seul, vide en ce moment.  Seulement il ne me voit pas. Il ne se rend pas compte que je suis là pour lui, au moindre mot de sa part, je serais là…

Il m’inquiète. Depuis cette soirée d’Halloween il est resté absent pendant un moment. Tout le monde s’est inquiété, moi la première. Il a fini par revenir mais… il est revenu avec une drôle d’idée en tête : fêter Noel et prendre la place de ce mystérieux Sandy Claws.  Dès le début je la sentais mal cette idée. Appelez ça comment vous voulez un pressentiment, une vision, peu importe mais je sentais mal cette histoire. Et j’avais raison.

Je ne sais pas laquelle était la pire des idées. Fabriquer des jouets de noel ? Remplacer le Sandy Claws ? L’enlever ? Demander à Arm, Stram et Gram de le faire ? Tout ça à la fois ? J’ai bien essayé de lui en parler, de l’en empêcher. J’ai même été jusqu’à répandre un brouillard pour  l’empêcher de partir. Mais rien n’a marché. Rien ne semblait vouloir refroidir son enthousiasme. Je ne dis pas que je n’étais pas heureuse de le voir si joyeux à l’idée de quelque chose. C’est juste que je ne sentais mal cette histoire. Et le pire a fini par se produire. Ils ont essayé de le tuer.

Il faut croire que nos tours et nos farces n’amusaient qu’à Halloween. Ils ont tiré sur Jack et… et … je l’ai vu tomber et s’écraser au sol. Il ne me restait qu’une chose à faire à ce moment pour tenter d’aider Jack. Retrouver le Sandy Claws. C’était lui le seigneur de noel, il pourrait peut-être arranger les choses.

Je l’ai retrouvé chez Oogie Boogie. J’ai tenté de l’aider à s’enfuir mais malgré toute ma bonne volonté je n’ai réussi qu’à me faire prisonnière à mon tour. J’ai cru notre dernière heure arrivée pour de bon quand Jack est arrivé nous sauver.
Tout a fini par rentrer dans l’ordre. Jack nous a sorti de là. Le Sandy Claws a sauvé Noel, il nous a même offert un cadeau : la neige. Quant à moi… Jack m’a enfin embrassé…

Notre conte de fée aurait enfin pu commencer à ce moment-là. La fameuse fin heureuse qui est sensée toujours arriver.  Sitôt Noel passé, j’ai senti que ça n’allait pas pour Jack. Et puis elle est arrivée … Je ne l’ai jamais aimé cette femme.  Et encore une fois j’avais raison. Elle a mis des drôles d’idées dans la tête de Jack. Lesquels je ne sais pas exactement. Tout a déraillé quand j’ai vu arriver cette fumée. J’ai à peine eu le temps de la voir se refermer sur Jack. Je n’ai pas réfléchi plus d’une demi-seconde. Je l’ai rejoint…

- Et le patient en zone deux attends les consignes du médecin avant de pouvoir partir. Et moi je vais en faire de même. Salut !

Après avoir fini mes dernières transmissions je quitte le service des urgences avec un sourire pour mes collègues. La journée a été fatigante. Elles le sont toujours. Le métier d’infirmière est éprouvant mais aux urgences c’est encore pire. Le rythme est éreintant, les patients pas toujours aimables, les médecins jamais aimables. Mais pourtant j’aime ça. Prendre soin des autres, me sentir utile. J’adore ça. Même s’il y a des moments où j’aimerais simplement tout laisser tomber et partir.

Quelques tours de clés et je suis enfin chez moi. J’ai à peine franchi le seuil qu’un son bien trop connu retentit. Un cri plutôt :

- Eleanor c’est toi ? Viens ici tout de suite !!

Il n’y a que mon oncle pour m’appeler comme ça. Pour le reste du monde je suis Jazz. Mais lui c’est différent. C’est mon oncle. Ca n’excuse pas tout mais à ses yeux oui. Je le rejoins avec un soupir, en me disant que ça ne serait toujours pas pour tout de suite que je pourrais aller manger et encore moins dormir. Il m’attend comme à son habitude dans le salon, devant la télé. Le même rituel du soir se met en place. Je l’aide à s’habiller, je l’aide à se coucher, je supporte sans rien dire ses innombrables critiques. Et enfin quand tout est terminé je peux aller manger les quelques restes de repas froid que j’arrive à trouver. Il y a des moments où je voudrais partir, où je voudrais le laisser… mais je ne peux pas.

Cela fait quatorze ans qu’il est coincé dans ce fauteuil roulant, par ma faute comme il ne cesse de me le répéter. Je n’ai jamais connu mon père. Quant à ma mère elle est morte d’une crise cardiaque quand j’avais dix ans. C’est quand mon oncle est venu me chercher qu’il a eu l’accident de voiture qui a causé sa paraplégie. Depuis il m’en veut et moi je suis condamnée à m’occuper de lui. Je n’ai fait mes études d’infirmière que pour mieux m’occuper de lui. Ainsi il évitait d’avoir à se payer une infirmière. Il pensait peut être m’embêter mais au final j’aime ce métier. Il me permet également de m’enfuir pour aller travailler. C’est toujours ça de gagner.

Mon repas avalait je passe, sur la pointe des pieds, devant la porte de mon oncle. Je passe discrètement un œil par la porte pour vérifier qu’il est bien endormi. Une fois rassurée, je grimpe rapidement  les escaliers menant à l’étage, mon domaine. Il ne peut pas monter jusqu’ici alors j’en ai profité pour m’étaler. Les murs sont recouverts de diverses affiches en tout genre : groupe de rock déchainés, dessins de vampires effrayant, poupée gothiques aux allures effrayantes et autres images de son univers chaotiques mais peu importe tant que ça lui plait, son petit monde à elle.

Je fais un léger détour par la salle de bain afin de me faire couler un bain. J’allume plusieurs bougies avant de ressortir de la salle de bain. Je repars ensuite, en direction de ma chambre cette fois, semant  mes vêtements au fil de mes pas. J’enclenche un CD de Jazz avant de repartir dans ma salle de bain. Je me laisse finalement glisser avec plaisir dans l’eau brûlante du bain.  Les bougies lancent des ombres dansantes sur les murs, donnant à la pièce une ambiance légèrement effrayante mais apaisante à mes yeux.  Je me laisse aller dans l’eau, oubliant mes soucis, mon oncle en bas qui dort…

Le soleil passant par la fenêtre me fait mal aux yeux tandis que j’ouvre difficilement ces derniers. En bas j’entends mon oncle s’époumonait en hurlant mon prénom. L’eau du bain est glacée et moi je ressemble à un pruneau congelé.  Je me lève difficilement de la baignoire, mes membres engourdis protestent devant le traitement que je leur inflige. Je me sèche rapidement et enfile à la va vite quelques vêtements. Heureusement que je suis en repos aujourd’hui  sinon pour le coup je serais vraiment en retard.

J’ai à peine fait quelques pas que je suis frappé par une sorte de vague qui me coupe le souffle. Et tout d’un coup tout me revient en mémoire. Halloween Town, ma vie, Jack…

Mon oncle... gueule de plus belle en bas. Je ne sais même pas si je peux l’appeler comme ça. Je ne sais pas qui il est. J’ai simplement l’impression que ce qui nous a amené ici a pris un malin plaisir à me remettre au service d’un infirme. L’ironie de la situation ne me fait même pas sourire. J’en ai juste marre. Une vie de servitude pour une autre vie tout aussi longue de servitude. Je ne me ferais pas avoir cette fois ci. Je partirais… Je ne resterais pas…

Je repars dans ma chambre et m’habille un peu plus convenablement cette fois ci. Je suis en train d’enfiler l’une de mes rangers quand la réalité me rattrape. J’ai atterri ici après avoir suivi Jack. Il est certainement là lui aussi… mais où est-il ? Enfin plutôt qui est-il ? Il y a tellement de monde ici. J’en vois tellement aux urgences. J’ai du mal à croire que j’ai pu passer une vie entière sans le voir, sans le reconnaitre, sans être avec lui. Puisque tout semble se répéter, que je suis à nouveau au service d’un infirme ici, pourquoi est-ce que je n’étais pas avec Jack également ? Ma vie amoureuse est un véritable désert. Il n’y a pas une personne dans cette chienne de ville qui fait battre mon cœur. En même temps dans mon travail je rencontre plus souvent des cas que des mecs intéressants.  Il y a même un clochard, pseudo musicien, recouvert de tatouage qui passe souvent. Bon ok ces tatouages sont cool mais il est juste… désespérant ce type.

Je me secoue et termine d’enfiler mes chaussures. L’autre gueule toujours en bas. Je descends l’air de rien. Il ne semble même pas avoir réalisé ce qu’il venait de se passer. Je prépare son petit déjeuner habituel, écrase un comprimé entier de somnifère et le glisse dans son café. Au moins ici c’est plus facile de le droguer l’air de rien. Pas besoin de potions diverses pour masquer le goût, le comprimé est invisible. Je lui porte son plateau avec mon plus beau sourire innocent et l’aide à s’installer dans son lit. Une longue tirade et quelques gorgées de café plus tard je suis enfin libre.
Je fais quelques pas dehors et reste ébloui par ce soleil si jaune, si lumineux, si loin du mien…  Je me mets finalement en chemin, à la recherche de celui qui fait battre mon cœur, où qu’il puisse être et qui qu’il puisse être…