♦ Au commencement, cette journée s'était déroulée comme les autres, sans dépareiller de la moindre façon.
Wyatt s'était éveillé d'une nuit pleine de cauchemars, durant laquelle il n'avait cessé de voir le chef du clan des Renards abattre sa famille en raison de sa propre médiocrité.
Il était ensuite allé chasser, plus pour tenter de se changer les idées que par réelle nécessité. Il n'arrivait plus à manger quoi que ce soit, sa gorge serrée l'empêchant de laisser glisser la nourriture jusqu'au sein de son estomac qui, de toute manière, n'aurait pas été en mesure de garder bien longtemps ce poids en son antre. Maladroitement, Wyatt banda l'arc qu'il avait grossièrement taillé la veille et tenta de toucher un lièvre, sans succès. Sa flèche se planta dans le sol et sa future nourriture s'échappa à toute vitesse, perdant définitivement son statut de proie.
Wyatt soupira, agacé par son incapacité générale, et marcha lentement jusqu'à la flèche pour la récupérer. Son corps lui semblait las et mou, dépourvu de toute force, comme s'il avait avalé une potion de sommeil et que son être tentait faiblement de lutter contre ses effets pervers et nocifs.
C'était ça, le deuil ? Wyatt qui, jusqu'ici, n'avait jamais été touché par le malheur n'imaginait pas du tout les choses comme cela. Il pensait qu'il hurlerait, pleurerait, crierait de rage et de désespoir avant de chercher à se donner la mort par tous les moyens. Oh, dans les premiers temps, cela s'était déroulé ainsi. Puis les choses avaient changé.
Comprenant que rien de ce qu'il faisait ne lui permettrait de revoir sa femme et son enfant, Wyatt s'était calmé, s'enfermant dans un mutisme profond, laissant le temps s'écouler comme s'il n'avait pas de prise sur lui. Chaque journée était une plaie, qui ne semblait jamais cicatriser, et toutes les nuits avaient pris la figure d'un enfer duquel il ne parvenait pas à s'échapper.
Soit. Il s'y était résigné tant bien que mal. Ce n'était que juste punition, étant donné que sa bêtise et sa naïveté avaient progressivement conduit les personnes les plus chères à son cœur à une mort atroce. C'était à lui de souffrir à présent.
Pour combien de temps ? Probablement jusqu'à ce que la faim ne se transforme en famine, son corps maigrissant peu à peu jusqu'à devenir poussière. Le chef des Corbeaux n'était plus. Il ne restait là qu'un être déplumé de toute fierté et de tout bonheur, ayant oublié le sens du mot "dignité".
Wyatt était sale, sauvage, négligé. Lui qui s'était toujours montré poli, propre sur lui, un minimum distingué...le changement était flagrant. Impossible de reconnaître le généreux fromager dans cette personne débraillée, proche d'un ermite...
Alors que Wyatt hésitait sur l'action qu'il allait ensuite accomplir, pensant à se rendormir, sa vision fut subitement envahie par une fumée bleue et grise, tandis qu'une odeur suspecte l'entourait. Quelques instants plus tard, Wyatt avait quitté sa forêt et se retrouvait au milieu d'une ruine pour le moins sinistre. Décontenancé, il passa une main dans ses cheveux, tic dont il avait du mal à se passer. La surprise ne fut que plus grande à la sensation bizarre qui le saisit après ce geste. Il n'eut pas le temps de s'interroger plus à ce sujet puisqu'une étrange créature fut ensuite imposée à sa vision. Etait-ce...un mérou ? Un mérou sur pattes ? Wyatt se frotta les yeux, peinant à y croire. Comment cela se pouvait-il...oh...
Une théorie commença à se forger dans l'esprit simple et naïf de l'homme. Peut-être était-il mort...et que ceci était son enfer...Pourtant, cela ne l'effrayait pas. Il était juste...dépassé. Dépassé par les événements, par la texture de ses cheveux, la bizarrerie de la vue...
Incrédule, il appela sa femme et sa fille, pensant qu'elles lui répondraient s'il était vraiment dans le royaume des morts, comme il le pensait. Pas un mot de leur part. Wyatt se frotta encore les cheveux, perdu et égaré. Qu'était-il censé faire, à cet instant ? En fait...Il n'avait rien envie de faire...Dormir, peut-être ? Il était fatigué...Mais, en même temps, il était toujours las et épuisé...Peut-être était-ce la vie elle-même qui le harassait de la sorte, en vérité. Les fatalités du destin...
Wyatt était seul. Seul avec un stupide mérou, dans un endroit qu'il ne connaissait pas. Que faire d'autre qu'attendre ? Attendre que le temps passe...Que la mort le délivre...